« – Vous voulez bien qu’on revienne sur votre dernière phrase ?
– Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle a ma dernière phrase ?
– Je vous propose de la répéter.
– Il me semble que j’ai dit que je me sens toute brisée de l’intérieur, comme en mille morceaux. J’ai l’impression de ne plus savoir qui je suis, ni ce que je veux.
– Et savez-vous d’où vient ce sentiment ?
– Parce que je suis partie, que j’ai tout quitté ?
– Non Madame, ça, c’est ce qui vous a sauvé la vie… »
« C’était ma deuxième séance avec la psychologue de cette association qui vient en aide aux femmes. Je racontais toute ma vie à cette femme que je ne connaissais pas. Je mettais mon âme à nu devant elle. Je lui parlais de mon enfance heureuse dans une famille aimante à cette vie de couple à laquelle je venais de mettre un terme après plus de 13 ans de violences psychologiques.
13 ans ! Quand j’y pense, cela me paraît incroyable. Comment ai-je pu tenir aussi longtemps et supporter toutes ces choses ?
C’est en l’entendant mettre des mots sur ce que j’avais vécu pendant toutes ces années que j’ai compris : violences psychologiques, emprise, dénigrement, isolement, contrôle, pervers manipulateur, victime.
Ses mots étaient durs à entendre mais finalement, pas aussi durs que ceux de celui qui m’a bousillée de l’intérieur.
Quand on parle de violences faites aux femmes, on pense la plupart du temps à la violence physique, aux coups. Mais il existe une violence invisible, qui ne laisse pas de trace sur la peau mais qui est toute aussi destructrice : la violence psychologique.
Les violences psychologiques se sont immiscées petit à petit dans mon quotidien.
Au départ, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait. Non, au début, j’avais l’impression que c’était une simple remarque. Elle me coulait dessus comme l’eau sous la douche. Je n’y prêtais pas vraiment attention.
Mais, petit à petit, les remarques étaient de plus en plus ciblées pour appuyer là où ça peut faire mal. Et quand la remarque ne suffisait pas à me faire agir comme il en avait envie, il avait recours à d’autres techniques. Il m’ignorait, me regardait avec dégoût. Parfois même, il allait jusqu’à draguer ouvertement d’autres femmes pour me faire comprendre que je n’étais pas irremplaçable.
Alors, pour éviter d’avoir mal, j’évitais tout ce qui pouvait déclencher une réflexion ou ses regards dégoûtés. Je m’habillais comme il voulait, j’ai perdu du poids et vécu sous le contrôle permanent de la balance, j’ai cessé de fréquenter plus telle ou telle personne, j’ai oublié ma vie sociale et ma famille…
J’ai renoncé à mon désir d’enfant parce qu’il avait tracé un avenir dans lequel il n’y avait que lui et moi. Pas de place pour un intrus. Il n’aurait pas supporté de voir mon corps se déformer avec une grossesse et un enfant qui réclame mon attention. Je devais être à lui toute entière.
Ce dont il faut avoir conscience, c’est que l’objectif du pervers manipulateur est de faire le vide autour de vous pour mieux pouvoir vous contrôler. Les autres étaient ses ennemis parce qu’ils pouvaient m’ouvrir les yeux sur ce que je subissais. Alors la tactique était simple : l’éloignement, le retournement de situation. Mon entourage se transformait en un ensemble de personnes jalouses de nous, de notre bonheur, qui ne nous voulait que du mal. D’ailleurs, il m’en apportait la preuve en me prévenant « Tu vas voir, ils vont dire du mal de moi, ils vont critiquer notre façon d’être, notre manière de vivre ». Dès lors qu’une de mes amies faisait une réflexion sur notre couple, dans ma tête, je me disais qu’il avait raison.
Petit à petit, j’ai commencé à voir les choses comme lui. A penser comme lui. Parce que, de toute manière, je ne pouvais pas penser autrement. Dès que j’entrais en opposition, il remettait en question ma manière de penser. Il me dénigrait, il me rabaissait, il me faisait comprendre que je n’étais rien, que je ne valais rien.
Au fil du temps, j’ai perdu toute confiance en moi et je me sentais de plus en plus isolée des autres.
Et puis un jour, j’ai commencé à ouvrir les yeux et me rendre compte que la situation n’était pas normale.
J’ai alors entrepris de discuter avec lui mais à chaque fois, ce fut peine perdue. Je m’attendais à de la compréhension mais à la place de ça, j’ai eu droit au fameux retournement de situation. Par exemple, la fois où j’ai voulu lui dire que j’en avais assez de la manière dont il voulait que je m’habille et contrôler mon poids, il m’a répondu quelque chose dans le genre : « Tu vois, la dernière fois, quand tu t’es approchée en petite tenue, j’avais très envie de te faire l’amour. Mais quand j’ai vu tes fesses pleines de cellulite, ça m’a tout coupé, ça m’a dégoûté tout ce gras. Tu vois ce que je veux dire ? Si j’avais un gros ventre, je ne t’attirerai plus hein ? Voilà, c’est pareil pour moi. Quand tu es plus fine, j’ai tout le temps envie de te faire l’amour, de te dire que tu es belle, de te faire des cadeaux. C’est pareil pour les vêtements. Imagine que je porte un jogging tous les jours, tu n’aimerais pas. C’est pour nous tout ça, pour qu’on soit heureux ensemble. Quand je vois les autres filles, la manière dont elles font attention à elles, je ne comprends pas pourquoi cela doit venir de moi pour que tu fasses la même chose. C’est parce que ta mère ne fait pas attention à elle que tu dois faire pareil. Je suis sûr que ton père a déjà été voir ailleurs parce qu’il devait trouver les autres femmes plus jolies. C’est de ça dont tu as envie pour nous ? Que j’aille voir ailleurs parce que je ne te trouve plus désirable ? »
A votre avis, qui culpabilise à ce moment-là ? Qui se dit « c’est vrai, si je ne lui plais plus, il va aller voir ailleurs »? Et oui, c’est moi !
Les fois où je prenais suffisamment d’assurance pour lui dire que je voulais partir, j’avais droit à la panoplie « chantage au suicide ».
Difficile de partir quand on a peur d’avoir la mort de l’autre sur la conscience.
J’ai donc vécu plus de 10 ans dans la manipulation, le chantage, le dénigrement. Pourquoi je ne suis pas partie avant ? Parce que j’avais peur qu’il se tue. Je culpabilisais de l’abandonner et de le voir se détruire. Parce que je n’en avais pas la force. Parce que je me sentais bien incapable de faire quoique ce soit par moi-même. J’étais persuadée de ne rien valoir, de tout lui devoir, d’en être arrivée où j’étais grâce à lui.
Il m’a donc fallu du temps, beaucoup de temps, avant de réussir à m’enfuir et m’échapper de cette emprise.
Et il m’aura fallu encore bien du temps pour réussir à mettre des mots sur ce que j’avais subi toutes ces années.
Est-ce que j’ai recollé tous les morceaux suite à mes séances avec la psychologue ? Non, clairement pas. Il m’arrive, plus de 10 ans après, de me réveiller en pleine nuit en pleurs avec un énorme poids sur la poitrine qui m’empêche de respirer. Mais de moins en moins fréquemment. J’ai repris confiance en moi, j’ai appris à faire confiance, j’ai apprivoisé mon corps. Mais surtout, j’ai découvert ce qu’est l’amour véritable, celui qui me donne de la force pour avancer tous les jours, celui qui me donne des ailes quand les démons du passé me rattrapent. Alors, tous les soirs, après avoir déposé un baiser sur leur front et leur avoir dit que je les aime, je ferme la porte de la chambre de mes enfants en pensant à cette chance que j’ai d’avoir réussi à fuir… »
Une lettre d’ Egalimère
En rencontrant Claire on se doute bien qu’elle n’a pas toute cette empathie par hasard, mais on sous-estime toujours le parcours des gens … Ce qui fait d’eux la perle rare qu’ils décident de devenir. Je ne connais pas cette souffrance, je ne peux que la lire et espérer que d’autres personnes dans ce cas aient le courage de se sauver.
Claire, vous pouvez la retrouver sur son blog Egalimere.fr qui m’a déjà bien aidé. Elle y parle des droits du travail, reconversions professionnelles, estime de soi, prématurité et forcément … de violences psychologiques (à lire ici).
Merci pour ta confiance ma belle ♥ j’apprécie encore plus ta générosité après un tel récit. En cas de doute, n’hésitez pas à appeler le 3919, à vous rapprocher des associations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences au sein du couple. Il ne faut pas rester seul(e), il est nécessaire d’en parler. http://stop-violences-femmes.gouv.fr/Associations
Je vous souhaite une bonne fin de semaine, de jolis moments en famille, le blog reprendra un rythme un peu plus soutenu dès janvier.
A bientôt
♥ Zozo ♥
9 comments
Coucou ma belle,
Je sais que tu as enduré car j’endure aussi cette sorte de violence.
Ce n’est pas facile à vivre et je te dis bravo de l’avoir quitté, ce n’est pas toujours facile….
J’ai d’ailleurs fait un article, si tu veux le lire : http://club.beaute-addict.com/blog-beaute/commentaire-mon-mariage-ma-vie-ma-prison-809400-0.php
Bonnes fêtes de fin d’année.
Merci pour ta confiance. Si j’ai réussi à prendre conscience de ce mal qui me rongeait, d’autres femmes le pourront également. Il ne faut pas hésiter à se faire aider, à se rapprocher des associations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences (appelez le 3919) et surtout en parler.
Je vous souhaite à toutes et tous de belles fêtes de fin d’année
Je l’ai lu vite, trop vite. Je garde ton billet pour le lire à tête reposée. Mais dès les premières phrases, je me suis retrouvée. Mon premier amour a été un pervers manipulateur. 2 ans de relation destructrice, plus de 10 ans sont passés et aujourd’hui encore j’ai des rechutes, des instants où tout s’ébranle et où je ne crois plus du tout en moi…
C’est un article qui me parle car j’ai une amie qui a vécu la même chose.. Heureusement pour elle, elle l’a vite vue et l’a quittée mais pendant 1 an cela a été l’enfer pour elle. Bravo à toi Claire d’avoir trouvé la force, même si je me doute les souvenirs restent ancrés en toi. J’espère que d’autres femmes liront ton article et auront le même courage que Claire.
J’ai vécu la même chose pendant deux année de ma vie, avec mon « premier amour ». Je connais le chantage au suicide, le vide autour de soi, la critique du reste du monde .. Voir son homme qui se détruit et penser qu’on est la fautive …
Mon blog est en grande partie dédiée à la dénonciation des violences psychologiques et au comportement indescriptible des PN. Je témoigne de ma « Mauvaise Rencontre » dans l’espoir que d’autres ouvrent les yeux.
Il est très difficile d’en sortir et plus encore de s’en remettre. Trois ans après, le traumatisme est encore bien présent chez moi.
Merci pour ce témoignage important.
J’ai l’impression de me lire. La différence étant que j’ai finalement eu un fils avec cet homme… Un fils qu’il n’a jamais considéré comme tel.
Te lire avec cette impression de revoir ce morceau de ma vie défiler sous mes yeux… Alors que je pensais être « guérie »…
Merci…
Je ne connais pas cette situation personnellement, mais j’ai une amie qui l’a connu, cependant il y a avait également les violences physiques.
Selon ces dires la violence psychologique pouvait être encore plus forte que la physique.
Tout comme toi, elle a réussi à le quitter et tente au fur et à mesure de se reprendre en main et essayer d’oublier les mots qu’il a pu lui dire car même après des mois de « liberté » il lui arrive de se remémorer ce qu’il lui disait et de se demander si ce qu’il disait est vrai. Elle a perdu confiance en elle mais grâce à sa famille elle tente de se relever car il a également tenté de l’éloigner d’eux.
Alors, comme je disais, je ne connais pas cette situation mais je suis de tout cœur avec vous toutes qui subissait ce type de violence quel soit physique ou psychologique.
Et bravo à toi d’avoir pu te soustraire de ses bras. Tu es une femme forte et tu vas accomplir de grande chose j’en suis sure.
Bonne continuation.
La violence psychologique est très douloureuse, j’ai eu à faire une personne très manipulatrice et menteur à la fois, c’était très difficile d’accepter tous ce que cette personne voulais, heureusement qu’il a finit par me lâcher parce qu’on a pas toujours le courage de laisser certaines personnes et pourtant c’est exactement ce qu’il nous faut. Comme on dit : « not everyone you lose is a loss. »
Bel article & courage ! des bisous 😀 Xx
Ton poste est très touchant. Certaines personnes malveillantes ou irréfléchies jugent en disant que jamais elles ne pourraient tomber sous les « griffes » de ce genre de personne et pourtant ça peut arriver à n’importe qui même à celles qui peuvent paraître fortes. Ce genre de témoignages ne pourra qu’aider certaines femmes qui se trouvent encore aujourd’hui dans cette situation… Bonne soirée!